Le Rap est-il Survivaliste ?

Dans le rap, de nombreux artistes abordent des thèmes tels que la violence, la pauvreté, la discrimination et les inégalités sociales. Leur but est de dénoncer ces injustices et d’appeler à l’action collective pour créer un changement social positif, mais parfois le but pour eux est simplement de survivre.

La survie, c’est le thème justement d’un morceau du groupe Mobb Deep, sortie en 1995 sur leur deuxième album The Infamous. Ce classique absolu porte le titre « Survival of the Fittest », qui fait référence à la célèbre théorie de l’évolution de Charles Darwin. Selon celle-ci, ce sont les espèces les mieux adaptées à leur environnement qui ont le plus de chances de survivre et de se reproduire. D’ailleurs, le refrain de la chanson, « It’s the survival of the fittest, only the strong survive » insiste bien sur la nécessité d’être le plus fort pour survivre dans le ghetto, où l’espérance de vie n’est pas très élevée en moyenne. Le premier verset commence d’ailleurs par « Yeah, sendin’ this one out to my man Killa B » faisant référence à un homeboy assassiné.

La survie est donc un thème important chez les rappeurs et on pourrait faire le lien avec les survivalistes qui craignent un effondrement de la société, engendrant une situation de K.O et d’état d’urgence qui pourrait durer assez longtemps, transformant le monde en ghetto géant, un peu comme dans les films de zombie. On ne manquera pas d’y voir l’influence Hollywoodienne dans cette imagerie, mais quoi qu’il en soit, le lien entre ces concepts réside dans l’idée de résilience et d’adaptation face à des circonstances difficiles. Les deux groupes cherchent à comprendre et à naviguer dans des environnements incertains et menaçants, et peuvent également partager un désir d’autonomie et de contrôle sur leur propre vie, en dépit des obstacles auxquels ils sont confrontés.

Mais au fait, c’est quoi le survivalisme ?

Des théories apocalyptiques, telles que la crise climatique, la crise énergétique, les guerres et les pandémies, alimentent de plus en plus la crainte d’un effondrement de la société. Les survivalistes répondent à cette crainte en se préparant à une vie où ils devront subsister avec des ressources minimales, en développant de nouvelles compétences et en favorisant peut-être la collaboration avec des groupes d’humains locaux…

Coopérer ou s’entretuer après l’effondrement ?

Beaucoup de gens sérieux au sein de la communauté intellectuelle française comme les ingénieurs Pablo Servigne et Jean-Marc Jancovici alertent depuis plusieurs années dans les médias mainstream qu’un effondrement est inéluctable, en raison de la raréfaction des ressources énergétiques planétaires. On appelle ce nouveau courant de pensée, la collapsologie.

Parmi eux d’ailleurs, deux croyances s’opposent : l’une où les individus se dressent les uns contre les autres, et l’autre où la coopération est la clé. Certains pensent que la solidarité sera l’ultime défense contre l’effondrement. Cependant, d’autres survivalistes adoptent une approche différente et accumulent des armes presque militairement, pour se préparer à une éventuelle guerre civile.

Pour résumer, les survivalistes sont des individus qui se préparent à la désintégration de la normalité et à la fin du monde tel que nous le connaissons, et dans le pire des cas, qui devront se battre les uns contre les autres pour leur propre sécurité. On pourrait leur rétorquer que nul ne peut prédire l’avenir, et qu’ils n’ont pas vraiment une crédibilité scientifique absolue pour s’attaquer à ce genre de sujet complexe et multidisciplinaire, sans tomber dans un certain catastrophisme.

Mais selon moi, il y a forcément des choses intéressantes et utiles dans leur discours, à nous de faire évoluer la société dans le bon sens, et ne pas attendre que les problèmes nous arrivent pour commencer de vouloir s’y préparer.

Rap et survivalisme : une connexion surprenante ?

On l’a vu avec Mobb Deep, le rap sait parler de difficultés de la vie urbaine, d’injustice sociale ou de résistance face à l’oppression. Le survivalisme, quant à lui, est un mode de vie qui vise à se préparer aux situations d’urgence et à la survie en milieu hostile.

Rap et survivalisme partagent donc une vision commune de résilience et prônent l’autonomie individuelle, ce qui implique de ne pas faire confiance à n’importe qui et surtout pas au gouvernement. Il ne faudra pas compter sur lui en effet, si la croissance économique s’essouffle, pour nous trouver de la nourriture et de l’énergie pour nous chauffer.

Le survivalisme implique alors de se préparer aux différentes situations d’urgence, qu’il s’agisse de catastrophes naturelles, de troubles sociaux ou d’attaques terroristes. Les survivalistes cherchent à acquérir des compétences de survie, à stocker des fournitures et à se préparer mentalement à gérer des situations d’urgence. Cette mentalité virile et les aptitudes qu’elle nécessite peut d’ailleurs selon moi être utile à de nombreuses situations de la vie quotidienne moderne, même en dehors des situations d’urgence.

Mais on peut aller plus loin dans l’analyse, et on peut voir le survivalisme comme une manière de s’opposer au modernisme aliénant, en développant des compétences et des connaissances qui permettent de vivre de manière autonome en marge du système, avec notamment la pratique de l’agriculture durable en mode autonomie. Cette désobéissance civile a en finalité un but positif d’engagement envers une vie plus saine et authentique.

Du ghetto au business, il n’y a qu’un pas

« The Message » de Grandmaster Flash and the Furious Five, chanson sortie en 1982, l’un des premiers hits du rap à atteindre le Billboard Hot 100, est aussi considérée comme l’un des premiers à traiter des problèmes sociaux-économiques des quartiers pauvres new-yorkais et la difficulté d’y survivre, conseillant à ses auditeurs de résister avec les moyens du bord.

Par la suite, de nombreux rappeurs reprenant cet héritage de « rap conscient », tels que KRS-One ou Public Enemy, ont intégré des thèmes proches de l’esprit du survivalisme dans leur musique, avec comme point négatif un glissement parfois vers des thèmes politiques. Ces artistes, à l’aide de métaphores, encouragent à vaincre l’adversité, à résister aux oppressions sociales et à défendre leur autonomie individuelle dans un environnement hostile.

Personnellement, ce que j’apprécie le plus dans le rap, c’est cette énergie qu’il me transmet pour affronter ma propre destinée. Je le compare à une sorte de grand frère, enseignant des leçons de survie urbaine.

Des histoires de mecs qui n’ont plus rien à perdre au fond de leur ghetto, là où l’expression « essayer de s’en sortir » signifie survivre en réalité, comme Snoop Dogg qui a échappé à la guerre des Gangs, me permet de relativiser au sujet de mes petits problèmes de français, qui se plaint de dictature sanitaire covidienne ou du « cancel » de ma culture par les mondialistes. Par contre, espérons qu’il n’y est jamais en France la même violence qui sévit aux USA, à l’instar du rappeur Nipsey Hussle, assassiné par le membre d’un gang auquel il avait appartenu jadis ou XXXTentacion assassiné devant un magasin dans lequel il allait acheter une moto, car il avait refusé de refiler tout son cash aux agresseurs. Malheureusement, on a bien l’impression que l’Amérique déteint sur nous, quand on voit les armes de guerre en circulation dans les banlieues.

Bien sûr, il y a quantité de rappeurs qui parlent pour ne rien dire, incitent bêtement à la violence. Mais d’autres abordent souvent des thèmes universels plus profonds, en utilisant des histoires inspirées de leur propre expérience, tels que la persévérance et la résilience aux obstacles, qui sont des éléments clés de la mentalité de survie en général.

Je pense que ce qui distingue par ailleurs le rap de qualité et le moins bon, c’est cette capacité à servir de source d’inspiration, à l’instar de Master P, qui fait partie des rappeurs très bons business man, réussissant financièrement en partant de rien. Pas étonnant que beaucoup d’entrepreneur écoutent du rap pour se donner du courage et de la combativité dans leur conduite de projet. Sans parler des sportifs et des compétiteurs… Le rap peut donc améliorer notre tempérament, même dans une situation qui n’est pas vitale pour nous en fin de compte, mais en tout cas peut nous aider à poursuivre un but dans l’existence, car il est essentiel de ne jamais lâcher l’affaire pour obtenir des résultats.

Rap, capitalisme et survie sociale

Le cinquième art a eu une grande importance pour conforter l’influence de la culture urbaine. Par exemple, le film Menace II Society sorti en 1993 illustre bien la violence perpétrée par des personnes issues des quartiers défavorisés, à l’image du protagoniste O’Dog dans la scène d’ouverture, qui abat de sang froid un couple de commerçant asiatique qui l’avait insulté.

Le film explore aussi les thèmes de la survie et de la résilience dans un tel environnement, avec le parcours du héros, Caine, qui essaie de résister à la tentation du mal. Le film est brillamment réalisé par les frères Hughes, avec le célèbre acteur Samuel L. Jackson comme tête d’affiche. Il fut salué pour sa réalisation authentique et sa représentation réaliste de la vie dans le ghetto : drive-by, drogue et sirènes de police, tout y est avec une B.O Gansta Rap assez mythique.

En ce qui concerne le rap à proprement parler, la chanson C.R.E.A.M de Wu-Tang Clan, sortie la même année, acronyme pour « Cash Rules Everything Around Me », illustre bien la nécessité de s’en sortir par tous les moyens quand on vient du ghetto. Effectivement, quand l’argent manque au pays du rêve américain, il faut trouver une solution, même illégale, car la perspective de rester derrière une presse d’usine ou de porter des sacs de ciment jusqu’à la fin de ses jours n’est pas très engageante… Mais si chercher à ne pas mourir de faim sans faire la manche est compréhensible, l’envie d’en avoir plus que les autres, avec l’illusion que la réussite sociale passe uniquement par le pouvoir financier, est une déviance encouragée par la télévision et le cinéma. La réussite « à la Scarface », qui a retourné le cerveau de beaucoup trop de jeunes, n’est qu’un leurre bien entendu.

Get Rich or Die Tryin’, un style de vie idéalisé

Nos élites ne montrant pas toujours l’exemple, il est vrai, baignant dans des affaires louches, tapant parfois dans les caisses de l’État, alimentées par le dur labeur du peuple. Pendant de ce temps les jeunes idéalisent plutôt les pimps, les bandits, ceux qui brassent des liasses. Effectivement, le rap n’échappera pas à ces clichés bling bling, miroir aux alouettes du capitalisme, en affaiblissant la volonté et le courage de la jeunesse de faire des efforts pour gagner sa vie honnêtement.

Le système est bien heureux de voir le peuple ainsi divisé par sa cupidité. Heureusement, pas mal de rappeurs de la nouvelle vague française comme Chronic prennent de la hauteur et peuvent être perçu comme de sages philosophes, ayant pour vocation d’éveiller nos consciences sur le caractère aliénant du monde moderne et des sombres manœuvres du Nouvel Ordre Mondial, et ce, sans attendre de contrepartie financière justement. Pour assurer cette mission, il doit donc investir de son temps et de son énergie en dehors de son travail : le bon rap se bat pour survivre

Le Rap Survivaliste en France

Essayons de voir en France quels artistes s’approchent le plus de l’esprit survivaliste. Bien sûr, on ne peut pas citer tout le monde. L’idée est d’avoir un aperçu du phénomène et de voir comme la culture Hip-hop en France peut s’approprier certains termes très actuels comme le transhumanisme ou l’intelligence artificielle, qui sont des menaces évidentes pour notre liberté, voire notre survie…

Keny Arkana ne danse pas la mia

On ne pouvait pas ne pas évoquer Keny Arkana. Cette artiste est respecté de tous les milieux et toutes les communautés pour ses textes engagés et sa critique acerbe du système. Originaire de Marseille, elle a commencé à rapper à l’âge de 12 ans.

Dans son œuvre, elle remet en question les fondements de la société de consommation et dénonce les inégalités sociales et économiques. Elle est une fervente militante pour l’égalité, la justice et la protection de l’environnement. Ses chansons traitent souvent de thèmes comme l’oppression, la résistance et la révolution, suggérant une vision du monde altermondialiste, proche du mouvement zadiste.

L’engagement de Keny Arkana pour un monde plus juste et égalitaire se manifeste également dans son mode de vie. Elle vit simplement et prône autonomie et indépendance face aux structures oppressantes du capitalisme néo-libéral.

Zippo, rappeurs des bois

En 2013, le rappeur Zippo, originaire de la région de Nice, est l’un des premiers à évoquer en tant que tel ce concept qui commence à s’insinuer dans l’air du temps à l’époque, le survivalisme, avec la chanson « Maintenant, j’ai une hache ». Même si le second degré est de mise, le message est assez clair : il a une dent contre cette société moderne proche de l’idiocratie, et se prépare à l’effondrement de celle-ci en mode bucheron.

Plus tard, en 2018, sort l’album intitulé « Zippo contre les robots », financé par crowdfunding, dans lequel il critique les nouvelles technologies et ses personnages influents, comme Larry Page et Elon Musk. Conscient des contradictions entre ses idées et l’utilisation d’internet pour se faire connaître, il considère qu’il faut parfois utiliser les armes de l’ennemi pour le combattre.

Le rappeur trouve son inspiration dans des figures comme Theodore Kaczynski et Guy Debord, et dénonce la fuite en avant de la société de consommation. La solution selon lui ? Devenir plus autonome et indépendant, en vivant à la campagne, en adoptant un mode de vie plus simple et proche de la nature.

Dialektik, la nouvelle vague bordelaise

Chronic est un rappeur que j’ai questionné au sujet du Great Reset sur Youtube en pleine « plandémie ». Pas du genre à se laisser abattre par la tyrannie dans son coin de la périphérie bordelaise, il monte ensuite le groupe Dialektik avec son poto MadThink. Sort alors un album magistral que personne n’aurait osé imaginer, intitulé « Bruit Blanc, Chambre Noire ». On peut y trouver la piste 11, Transhumanisme. Ce petit bijou a obtenu 19/20 dans ma chronique de l’album. Ne passez pas à côté du clip réalisé par Chronic lui-même sans intelligence artificielle, à l’aide des bons vieux logiciels de chez tonton Adobe (Photoshop, After Effects et Premiere Pro) :

Le transhumanisme prône soi-disant l’amélioration de la condition humaine grâce aux avancées technologiques. Cependant, certains de ses promoteurs, comme Klaus Schwab ou Laurent Alexandre, un peu tarés sur les bords de l’avis de tous, et un brin méprisant envers nous, le petit peuple, prônent des idées comme « en 2050, les gens avec moins de 150 de QI ne serviront à rien ».

Si les dangers de la science ne sont pas nouveaux, Jacques Testart, déconseillant en 1986 de recourir au tri des embryons, en raison du risque d’eugénisme, ce morceau fait écho aux inquiétudes suscitées par l’essor récent de l’IA et de la robotisation, quant à l’éthique autour de ces outils permettant une automatisation de masse. Certains craignent que ces technologies remplacent pour de bon les travailleurs humains, dans une société dans laquelle l’homme est de plus en plus dépendant des algorithmes et des machines.

Et aujourd’hui, ces technos ne sont plus de la science-fiction : cet article a été rédigé avec l’aide de l’intelligence artificielle ChatGPT 4. Pourquoi ce paradoxe ? Eh bien, j’en profite avant que ce genre d’outil soit interdit à la plèbe !

Il est possible de considérer cette opposition aux nouvelles technologies de contrôle du peuple comme une forme d’instinct survivaliste, pour se protéger des conséquences potentiellement néfastes du progrès de la société, cherchant à nous écraser, faire disparaître toute individualité, en imposant un mode de vie rythmée par l’obsolescence programmée, donc au service d’une consommation exacerbée.

En fait, toute la question pour une invention est de savoir entre quelles mains elle va tomber, me révélait Chronic en interview. Et certaines innovations pourraient tout simplement se retourner contre nous involontairement, en provoquant des catastrophes environnementales, économiques ou sociales.

Ainsi, le rejet du progrès peut être considéré comme une volonté de préserver sa liberté, son autonomie et sa sécurité face à l’incertitude du monde contemporain, qui a l’air d’ailleurs de dérailler franchement en ce moment (guerre, inflation, réforme des retraites, wokisme, etc.). Il est salutaire de compter parmi la scène rap française des artistes comme Keny Arkana, Zippo ou Dialektik pour décortiquer ces sujets complexes. Les idées véhiculées par ses groupes peuvent aider à se préparer à l’adversité et à se défendre seul ou avec ses amis, durant cette crise civilisationnelle ayant de multiples niveaux d’implication.

Conclusion

Le rap et le survivalisme peuvent sembler être des cultures différentes à première vue, mais ils partagent des liens universels, comme une vision commune d’autonomie individuelle et de résistance face au système de plus en plus instable. En fin de compte, le rap et le survivalisme peuvent favoriser un changement social positif ou a minima une prise de conscience collective.

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1 réflexion au sujet de « Le Rap est-il Survivaliste ? »

  1. Très sympa comme article 👍🏻 la thématique est super cool je pense pas qu’il y ai bcp d’article sur le sujet c’est bien vu ! Merci d’avoir parler de mes projets 👌🏻.

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