Les termes « rap » et « hip-hop » sont souvent assimilés alors que le premier représente un aspect du second, un mouvement culturel bien plus vaste. Né dans les années 1970, dans le Bronx de New York, loin des strasses et paillettes, le hip-hop est en fait bien plus qu’un genre musical : c’est un mode de vie, ou encore une philosophie qui tire son essence de la « galère quotidienne », celle qui vous colle au cul dans le ghetto depuis votre naissance.
Le rap, quant à lui, est une composante essentielle de cette culture, d’ailleurs jugée subversive, voire anti-patriotique par les chroniqueurs de CNews. D’autre part, les puristes lui reprochent d’être devenu mainstream et ostentatoire, avec tous les travers que cela engendre. L’influenceur Salim Laïbi y voit un mauvais exemple donné à la jeunesse qui a échoué sur les ondes sataniques de Skyrock : la glorification de la violence avec une posture du trafiquant qui brasse des liasses est un cliché devenu assez récurrent…
L’Essence du Rap
- Vendre des disques. La musique rap est créée, produite et commercialisée avec pour objectif principal de vendre des disques. Par exemple, des artistes comme Travis Scott voient leurs albums plébiscités par toute une génération et des concerts aussi remplis qu’à Woodstock. On parle quand même de 170 millions de ventes certifiées aux États-Unis pour le rappeur Drake. La France n’est pas en reste à l’image de JuL, qui a vendu 7 millions d’albums durant la dernière décennie : une bonne carrière de stakhanoviste ! Donc la bonne nouvelle, c’est que pour devenir rap star, il faut bosser. « Lève les bras, balance-toi » ne suffit plus.
- Faire des hits. Néanmoins, l’accent doit être mis aujourd’hui sur les sorties singles, à l’instar du morceau « Sicko Mode » de Travis Scott, ou encore “Bande Organisée” de JuL encore lui, le titre à ce jour le plus streamé en France sur Spotify. Le rap domine donc outrageusement les charts, mais en contrepartie la qualité tend à en pâtir, avec des albums moins longs qu’à la Belle Époque, et surtout moins poussés artistiquement.
- Créer des stars. L’aspect business du rap implique la création de personnalités starifiées, parfois clivantes, capables de capturer une large fan base, notamment à l’heure des réseaux sociaux : on vous oublie vite s’il n’y a aucun drama sur vous, ou aucun clash en tag lines. Tiens, Cardi B, après son ascension fulgurante via Instagram, est un exemple parfait de ce genre d’icône culturelle formatée pour la jeunesse, où le paraître est souvent autant nécessaire que le talent pour obtenir un succès commercial durable.
- Gagner des récompenses. Les prix et les distinctions, comme les Grammy Awards, sont des repères de succès néanmoins de temps en temps intéressants, quand on pense à Kendrick Lamar qui a remporté pas moins de 14 Grammy Awards, affirmant son influence dans l’industrie musicale tout en conservant une forte authenticité artistique. Une bonne récompense pour les rares rappeurs qui font encore évoluer le rap techniquement et intellectuellement, malgré les changements de mode.
Synthèse sur le Rap
Le rap est donc aujourd’hui une grosse industrie, mais conserve toujours une base culturelle non négligeable. Malheureusement, il implique en général, pour être une activité rentable, de suivre une approche stratégique, avec une image travaillée spécifiquement pour les médias tabloïdesques, en utilisant fréquemment la provocation, la sexualisation à tout-va ou tout simplement l’exubérance capitaliste. Mais une approche plus artistique peut mener certains artistes à générer beaucoup de vente aussi, en restant assez authentique.
Avec tous ces profils créatifs, on ne peut pas dire que tout le rap game soit bêtement fade et commercial. Et il ne faut pas perdre de vue que le rap fut dès le départ un genre musical très concurrentiel, et pour beaucoup le seul moyen de se sortir du quartier, quitte parfois à surjouer un rôle de bad boy pour sortir du lot, pendant que les vrais groupes de rap hardcore restaient cantonnés dans l’underground !
L’Esprit du Hip-Hop
D’un autre côté, la culture hip-hop est profondément enracinée dans la communauté, l’expression et la conscience sociopolitique.
- Avoir les meilleures rimes. Le hip-hop valorise la prouesse lexicale et la capacité à transmettre des messages complexes. Nas, avec son album « Illmatic » admirable pour ses textes poétiques, avec une puissance narrative dépeignant la vie urbaine de manière chirurgicale.
- Se dépasser. La légende du rap, Eminem, incarne le travailleur acharné, qui, à force de courage et d’abnégation, a fini par s’imposer comme un des tout meilleurs mc’s de l’histoire (en plus d’être bon acteur de cinéma dans 8 Mile), en réussissant à prouver que le rap n’a pas de couleur de peau (ni de cheveux). Et sa technicité verbale a forcé le respect de beaucoup de rappeurs pourtant pas handicapés derrière un micro, tout simplement.
- Être socialement conscient. Le hip-hop est souvent le porte-voix pour les exclus du système capitaliste. Public Enemy, avec des chansons comme « Fight the Power », a utilisé sa musique pour mettre en avant des problèmes sociaux non portés par les politiques de leur époque, avec des beats énergisants et novateurs (production Bomb Squad). Entre nos IAM et NTM, notre hip-hop made in France adopta un peu cet état d’esprit rebelle dès son émergence ici, avec des textes délivrés en anglais comme par respect, mais en lui apportant par la suite une touche d’originalité liée à la richesse de la langue française, et aussi avec la mise en image marquante de certains clips vidéos (« Je danse le mia » par exemple) qui lui permirent de toucher un plus large public, mais sans se renier.
- La culture dans tous ses états. En plus des fameux rapping / deejaying ou breakdance, le hip-hop inclut également l’art et la mode. Ainsi, des artistes de graffiti comme Jean-Michel Basquiat illustrent à merveille cet aspect multidimensionnel de cette culture.
- Gagner le respect. Dans le hip-hop, le respect se gagne par le talent, mais aussi par l’authenticité. J. Cole, connu pour se questionner sur ses racines, est respecté dans la communauté pour son engagement envers les valeurs chères au mouvement, alors qu’il a été propulsé par l’incarnation même du rap biz’ XXL, Jaÿ-Z himself, que beaucoup voient en illuminati de Bavière.
Synthèse sur le Hip-hop
Notre mouvement met donc l’accent sur l’originalité, la créativité, la performance technique, et l’implication communautaire, ou encore l’activisme social, à l’image de KRS-One, resté toujours assez proche de la street. Ainsi, l’esprit Hip-hop peut se retrouver chez ceux qui sont devenus des stars, tout comme ceux qui ont des carrières honorables à la limite de l’underground, du moment qu’ils n’oublient pas leurs origines et qu’ils restent authentiques.
Conclusion
Bien que le rap soit un pilier fort du hip-hop, avec pas mal d’artistes dans l’ombre qui assure un travail admirable, le hip-hop englobe un spectre encore plus foisonnant d’expressions culturelles et de valeurs. La divergence réside dans leurs objectifs fondamentaux : le rap, il ne faut pas se voiler la face, vise un petit peu la renommée d’un artiste ou d’un groupe, qu’elle soit locale ou plus étendue, tandis que le hip-hop s’efforce de préserver la culture urbaine d’origine en œuvrant parfois dans l’anonymat du tissu associatif.
Cependant, Hip-hop et vrai bon Rap, essayent tous d’eux d’élever les consciences, bien sûr avec des moyens différents. Au-delà des controverses, ils coexistent bel et bien, se croisent même, mais contribuent ensemble à moderniser la culture. Avouez que voir JuL à la cérémonie d’ouverture des JO de 2024, et à Marseille en plus, montre bien tout le chemin parcouru par le mouvement depuis les premières heures du terrain vague de La Chapelle dans les années 80. Sky is the limit !