Dans ce précédent billet, on a découvert les deux styles de rap qui prédominaient en allemagne de l’ouest, à savoir le rap festif et conscient. Celui-ci est consacré au rap Berlinois…
Par le passé, la nouvelle reine du rap de l’Allemagne réunifiée était complètement absent du rap game, alors qu’elle brillait déjà dans le graffiti. Pour les aficionados, Berlin c’est…
…des souvenirs punk-rock de Nina Hagen, les premiers pas de la musique électronique dans des clubs devenus des institutions de la nuit comme l’UFO. Si la ville est restée une place forte de l’électro et un bastion des mouvements autonomistes, après la réunification de l’Allemagne et la spéculation immobilière vers les années 2000, elle donne naissance à une refonte architecturale et musicale.
Berlin devient la capitale du rap allemand, après de longues années passées dans l’underground. Elle va, en mode hardcore, bousculer les choses avec du rap sans concession et en se défonçant dans d’épiques battles.
La face abrupte de la capitale
Tout avait commencé en 1996. Berlin prépare sa revanche du fin fond des caves. Certes, les MC’s de la ville ont déjà une bonne réputation, mais le grand public préfère les rapeurs de Hambourg ou de Stuttgart. C’est dans le sous-sol d’un café, que cela se prépare. Il accueil chaque dimanche après-midi des joutes Open Mic, en prenant exemple sur le Blue Café, le temple du freestyle et du battle à Los Angeles. Le lieu va unifier la scène de la ville comme un atelier compétitif.
Marcus Staiger y fait ses premières cassettes que l’Allemagne découvre avec stupeur. Il prend le nom du café pour fonder en 1997 le Royal Bunker avec l’argent de ces mixtapes. A l’est du quartier de Kreuzberg, ce label est alors l’une des meilleures maisons de prod indépendantes en Allemagne.
Après plus de dix ans dans l’underground, Berlin atteint enfin la reconnaissance en 2003 avec M.O.R., Fuat, Sido, B-Tight, King Orgasmus One, Gauner, Marcus Staiger qui se mettent en valeur dans les battles, mais c’est un jeune d’origine turque, Kool Savas qui, avec son flow aiguisé et une bonne dose de provocation, lui permettent de se faire connaître, particulièrement avec Schwule Rapper, LMS (PD de rappeur, suce ma bite) :
Personne n’avait encore entendu le son de Kool Savas en Allemagne. Cette nouvelle vague est arrivé super motivé avec un style grossier, un genre très nouveau à cette époque :
L’innocence des débuts du hip-hop germanique laisse place au désenchantement des années post 11 septembre, symbolisé par Sido et son Mein Block (mon quartier) [Clip] :
Ce tube est un résumé à lui tout seul de l’histoire de la 3ème phase du rap allemand, bien plus tape à l’œil et sauvage : issu du collectif Aggro Berlin, ce morceau est une dédicace pour son quartier de Berlin-Nord rempli d’HLM.
Figure emblématique d’Aggro berlin, Sido est même la figure du hip-hop allemand en 2004, pourtant dissimulé derrière ce masque en forme de crane. Avec « Mein Block », le rap a fini par retrouver le bitume, tout en investissant les nouvelles technologies pour court-circuiter l’industrie musicale.
Paul Würdig a.k.a Sido est donc le chef de la meute, (ce blase signifie Super Intelligentes Drogopfer = victime super intelligente de la drogue). Il a foutu un coup de pied dans la fourmilière du rap allemand avec des morceaux sulfureux qui ont autant hérissé les censeurs qu’enflammé la jeunesse : Fuffies im Club [Live] :
Mach keine Faxen :
Sido ft Harris – DLR-Inferno (Beathoavenz Mixtape)
Arrogant et agressif
Voilà comment ce qualifie eux même les MC’s made in Berlin. Dans les documentaires Rap City Berlin, qui montre la quarantaine de label évoluant dans cette ville, on parle de force, de concurrence pour atteindre les sommets :
Aggro Berlin – Aggro Teil 3
Car la musique est avant tout une histoire financière, où chaque indépendant tente de tirer son épingle du jeu pour devancer les autres.
Coupé de l’Allemagne de l’Ouest durant la guerre froide, Berlin n’était qu’une enclave perdue au milieu du bloc soviétique, désertée par les médias et les grands labels. Seulement les règles sont faites pour être bouleversées…
Le rouleau compresseur Aggro Berlin
Label musical, magasin de fringues et de matériel pour le graffiti, Aggro Berlin est avant tout un bestiaire de personnages aussi vulgaires que géniales : Sido, Fler, Bushido, B-Tight… Aggro Berlin – Westberlin Koka remix :
Dans une Allemagne qui se rend compte qu’elle est pluriethnique, B-Tight traite des préjugés qui existent sur les noirs dans Der Neger :
Fler brandit l’étendard allemand et s’amuse avec le nationalisme sur NDW 2005 [Clip] :
Tandis que Bushido est extra-ordinaire pour décrire les sinuosités du ghetto berlinois…
Le talentueux Bushido
Bushido ou Sonny Black, LA superstar du rap allemand, né d’une mère allemande et d’un père immigré tunisien possède un style musicale qui s’inspire largement du gangsta rap us.
Pour avoir pompé treize titres de Dark Sanctuary, un groupe gothique parisien, il s’est vu condamné à retirer onze de ses albums de la vente, sur lesquels figurent les titres incriminés, et à donner 67 000 euros. Par exemple l’album « Von der Skyline zum Bordstein » (De l’horizon au bord du trottoir, 2006), impliquant entres autres les chansons suivantes :
Bloodsport
Janine [Clip] dénonçant la pédophilie
Es ist ok
Träne aus Blut
Bushido (concept tiré des samouraïs, honneur et loyauté…), ne devrait pas trop souffrir de ces affaires, tant sa réputation est sulfureuse : souvent au cœur de polémiques autour de la véhémence de ses textes portés sur les femmes, les homos ou sur les différences de races, le top vendeur du rap allemand, récompensé plusieurs fois aux Echo awards et European Grammy Awards, n’est pas à son commencement en terme de plagiat en plus. En 2007, il avait eu le même problème avec un groupe de dark-metal norvégien et par le groupe américain Nox Arcana.
Aller, un petit récent pour la route : Bushido – Vergiss mich (feat. J-Luv)
L’argent pourri les gens
Le rap allemand était retombé dans la street parmi les Kanaken (les métèques), après des lustres de rap peu revendicatif, et les disques d’or s’entassèrent dans le quartier de Schöneberg, le QG du label.
Victime de sa réussite, les embrouilles apparurent rapidement et poussa Bushido à quitter le bateau pour continuer sa carrière. Un diss de Bushido feat. Eko Fresh à l’encontre de Fler :
Le départ de Bushido fut un pari gagnant qui lui a permis de concocter plusieurs classiques du rap allemand !
La saga Carlo Cokxx Nutten :
Bushido ft Fler – Wer will Krieg (Carlo Cokxxx Nutten)
Bushido – Hymne der Strass (Staatsfeind Nr.1)
Bushido et d’autres MC de l’écurie Aggro Berlin ont donc rejoint les majors, provoquant la mort clinique du label en 2009, dérivant lentement vers un rap « easy » et commercial.
La relève
Mais cette furie berlinoise et ses émanations de goudrons ont changé le visage du rap allemand, la preuve :
Le label Bassboxxx
Le label Shok Muzik – Ich bin dein Problem [Repoortage]
L’amour de la provocation
Une scène plus expérimentale a également trouvé sa place an ayant l’avantage de l’indépendance : des MC’s qui se lâchent complètement, à l’image King Orgasmus One, anti-homo et miso, mais toujours dans la bonne humeur. Ce dernier produit même des films de boules, devenant la cible des associations style Chiennes de garde en France.
Quelques paroles du mythique Küche oder Bett (La cuisine ou le lit), de Bass Sultan Hengzt et King Orgasmus One : « Femme, fais à manger et ensuite je veux tes nibards, cuisine ou lit, salope, que veux-tu d’abord ? Fermes ta gueule, enlèves tes habits et nettoie mon appartement, pour récompense, je te garde trois mois en Allemagne ».
Die Atzen, le come-back de Frauenarzt (le gynécologue) & Manny Marc, toujours aussi joyeux mais moins porno [Clip] :
Yo Remix (feat. Nazar, Chakuza, Motrip, Joka, Tua, D-Bo, Tarek (K.I.Z.) & Silla) :
Peter Fox :
Prinz Pi :
Culcha Candela :
Beatfabrik :
Rhymin Simon ft King Orgasmus :
Spezializtz :
La Turquie et la Palestine sont bien représentées…
Massiv feat. Beirut – Weil wir der Wahrheit nicht ins Auge sehen :
Eko Fresh, d’origine Turc :
Du rap féminin :
Un petit Aggro Berlin pour la route, un lourd 2 fou :
Conclusion
Longtemps cantonné à la clandestinité, il est clair que la scène berlinoise est désormais incontournable dans le rap game allemand !